« Etre ou ne pas être, voilà la question. Il est des formules dont on ne sait pourquoi elles nous hantent. La phrase qui ouvre le monologue de Hamlet est de celles-là. Quel secret nous force à revenir dans un théâtre, à la réentendre ? Quelle comique grimace sous le masque de la tragédie ? Oui, et la poser n’est que vanité orale. »
L’art subtil de l’anagramme ne sert pas uniquement aux amuseurs et aux railleurs. Les kabbalistes l’emploient pour déchiffrer le sacré derrière l’apparent et le démon derrière le monde. Etienne Klein et Jacques Perry-Salkow soulèvent par un coin le voile de mots qui constitue le monde, pour nous montrer le jeu possible entre l’esprit et la lettre, plus révélateur qu’il n’y paraît. Théodore Géricault et ses amas de cadavres anti-conventionnels choquent la bonne société : l’orage déchire tout. Les Fleurs du Mal constituent pour Charles Baudelaire le labeur de sa chair. Et les particules élémentaires / tissèrent l’espace et la lumière.
On retrouve dans ces riches inversions l’esprit d’une langue joyeuse et toujours prête au jeu et à la transformation. On ne compte plus les écrivains usant du stratagème pour montrer une autre facette d’eux-mêmes, plus indépendante de leur moi public : de Bison Ravi au Pauvre Lélian, en passant par le cas extrême d’Emile Ajar, le bouleversement des lettres laisse place à un renouveau de l’être même des choses.
Etienne Klein et Jacques Perry-Salkow, Anagrammes renversantes ou Le sens caché du monde, Flammarion, 201
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